Paroles de Jacque's - Ensemble Vocal de Canisy

Aller au contenu

Paroles de Jacque'S

Entretien avec le poète Jacques Lebouteiller
(reportage Jean Cabon)

"Jacques'S", ce n'est plus un singulier, et pas tout à fait un pluriel. Jean-Marc Boussard a intégré ce curieux prénom au titre d'un spectacle de sa conception, bientôt joué et chanté (fin juin 2023), qui réunira des textes et musiques de trois poètes-compositeurs, Jacques Lebouteiller, Jacques Prévert et Josef Kosma. Il était bien nécessaire d'interroger le premier.  

Ecrire et chanter, cher Jacques, était-ce une vocation précoce ?
Oui, j'ai chanté dans un camion américain. C'était en 44, et j'avais quatre ans. Mon instituteur de CM2 a fait apprendre ma première mélodie à toute la classe. Ma mère chantait et dessinait, et m'a transmis ces passions-là, qui m'ont collé à la peau toute ma vie.
Mais je n'ai écrit mon premier poème-chanson qu'à trente ans. C'est l'âge où j'ai décidé de reprendre des études à Dijon, pour devenir prof, après avoir été employé de banque puis directeur d'une Maison des jeunes et de la culture. Je finançais mes déplacements hebdomadaires Caen-Dijon et ma chambre d'étudiant en chantant tous les soirs, dans un restaurant.

Votre répertoire personnel était donc limité. Que chantiez-vous d'autre, dans ce restaurant ?
J'y chantais Aragon, Ferré, Brel, Caussimon, Vigneault, et des poètes moins connus comme le bûcheron canadien  Lawrence Lepage, dont j'appréciais la grande authenticité.
Puis sont venues mes toutes premières chansons, écrites dans le train... C'est ainsi que j'ai progressivement abandonné les centaines de chansons des autres pour ne plus chanter que les miennes (environ 200)!  J'ai eu le sentiment de quitter la Mercedes sécurisante des grands auteurs pour une 2 CV... mais qui était la mienne... et... ne recevant pas de tomates... j'ai continué.

Jean-Marc Boussard a eu l'idée de réunir vos poèmes chantés et ceux de Jacques Prévert. Vous a-t-il demandé l'autorisation ?
Non, il m'en a parlé après avoir commencé à travailler sur son projet, dont je suis très heureux.

Un rapprochement qui n'a pas dû vous étonner, même si vous n'avez pas chanté Prévert. Ne remarquez-vous pas des analogies dans vos sources d'inspiration ou les thèmes de vos poèmes ?
En tout cas, le Conseil Général de la Manche y avait pensé puisqu'il m'a invité, en 2000, à participer à la première partie du concert de Juliette Gréco, à l'occasion du centenaire de la naissance de Prévert. C'était au théâtre de Cherbourg.

Aviez-vous songé, comme le dit Jean-Marc Boussard, que vos poèmes pouvaient entrer en résonance avec ceux de Jacques Prévert ?
Non, mais en les relisant, je trouve en effet des correspondances. Ainsi quand on rapproche ma chanson La guerre et Barbara de Prévert :
Il pleut sur la ville/ Des bombes incendiaires/ Dans mon coin tranquille/ J'assiste à la guerre/
Je n'ai pas quatre ans/ Je croque des bonbons/ Et j'regarde les grands/ Jouer à des jeux d'cons.
Prévert dans Barbara : Quelle connerie la guerre!
Dans ma chanson Le voyage des bêtes, on trouve un esprit de loufoquerie, un esprit d'enfance chers à Prévert... mais aussi à Queneau et Tardieu, quelque chose de surréaliste, de déjanté :
L'escargot qui s'élance avec sa caravane/ Peut camper sous la pluie entre Quimper et Vannes...
Le vent ne monte plus sur les bateaux à voile/ L'homme a conquis la Lune, il a perdu l'étoile.

On a souvent souligné le pessimisme de Prévert. Vous-même évoquez les aspects souriants de la nature, de la vie, de telle sorte qu'on est tenté de vous ranger parmi les poètes épicuriens. Mais n'avez-vous pas chanté la noirceur ?
Comme dans la vie, chez Prévert, il y a du bleu, du gris, du noir, des joies, des drames. Pour moi, la poésie et le chant sont un exutoire, une forme de résistance, une sublimation, une respiration.
La passagère est le titre d’une de mes chansons les plus graves :
C’est la vie qui attache à nos poignets des fers/ Et s’enfuit  sur les routes les cheveux dénoués/
Son attelage fougueux conduit un train d’enfer/ De jours en habits noirs et de blanches nuitées
…Et dans le froid qui met aux fenêtres du givre/ J’ai cru la voir au loin qui courait sur les eaux/
Sa robe déchirée s’accrochait à la rive/ Dans un froissement d’ailes comme un vol de corbeaux.
Ell’ passe dans la veine, ombre sous la peau blanche/ O, le bleu du ruisseau qui s’écoule sans bruit /
Pendant que son couteau glisse à travers les branches/ La lame du soleil au plus profond d’un puits…
  
Vous êtes l'auteur de vos chansons, paroles et musique. Pourtant, vous n'hésitez pas à déclarer : « Je suis interdit de guitare sur mes disques »! Quel est donc votre rapport à la composition musicale, et le rôle de vos amis musiciens ?
J'ai acheté ma première guitare à 18 ans. Je suis autodidacte. J'ai chanté les poètes puis mes propres chansons sans connaître le solfège. Les accords de ma guitare m'aident à construire mes chansons. Depuis 45 ans, mes amis musiciens font les arrangements des mélodies, et ils m'accompagnent sur mes douze disques.
Ce sont Denis Bailhache, guitariste ; Christian Basset, accordéoniste ; Jean Denis, flûtiste ; Hélène-Marie Foulquier, violoncelliste ; Jean Hamel, contrebassiste. Et je n'oublie pas Pierre Nicolas, le bassiste de Brassens, qui jouait sur mon troisième album.
  
Quelle est votre dernière composition ?
C'est un récent poème qui porte le nom d'Allain Leprest, un géant de la chanson célébré par Juliette Gréco, Claude Nougaro, et que Jean d'Ormesson nommait "le Rimbaud du XXème siècle". Je ne serais pas mécontent que mon texte soit mis en musique...

Comptez-vous chanter vous-même le programme "Paroles de Jacque's", avec les choristes de Canisy ?
Oui, avec joie ! Je me réjouis que mes textes soient interprétés par Stéphane Guillot, un ami-comédien, et suis très flatté que la mise en scène soit portée par l'excellent Dominique Debart. Il devra aussi diriger de très jeunes comédiens : Margot, Louise et Jules !

Sur les recueils et les disques de Jacques Lebouteiller, consulter le site https://jlebouteiller.webnode.fr/

...

Retourner au contenu